De la dyslexie, on en connaît les symptômes principaux. Mais rien, ou presque, de ce qui se passe dans la tête de l'enfant qui souffre de ce dysfonctionnement du langage. Même lorsque c'est le nôtre ! Comment ça se passe dans sa tête ? Qu'est-ce que cela fait d'être dyslexique ? De quelle façon lutte-t-il contre ses difficultés ? Cécile, 16 ans, se raconte. Elle nous emmène dans son monde. Un monde pas toujours facile certes, mais subtil, sensible et foisonnant.
Pour Cécile, la rééducation orthophonique a tout changé. Elle nous raconte son parcours : “Avant ma rééducation orthophonique, j'étais incapable de visualiser un mot. Dans ma tête, il n'y avait rien. Le vide. Pas même une page blanche. Maintenant pour écrire le mot "cactus" par exemple, je le vois écrit en même temps que je ressens des picotements au bout des doigts. C'est ainsi que je mémorise l'orthographe des mots : je les mets en couleur dans ma tête puis je les associe à une image, à une sensation. Ou même, parfois, à une émotion : le mot "chien" m'évoque le bonheur que j'éprouve à caresser ma chienne. Lorsqu'il s'agit d'un mot nouveau, je le visualise en rouge à côté de sa définition écrite en noir. Après avoir été utilisé au moins une fois, le mot devient noir à son tour. Je sais alors que je l'ai intégré.”
“Pour m'y retrouver, je mets les sons en couleur dans ma tête”
“Cette faculté de visualisation, je l'ai découverte et développée au cours de ma rééducation. Elle m'a permis de venir à bout des logatomes (suite de sons sans signification) que je n'arrivais pas à répéter au départ. Je ne parvenais pas à les mémoriser parce que je ne les “voyais” pas, je ne faisais que les “entendre”. Désormais, j'ai un "truc" : à mesure qu'Angélique (mon orthophoniste) les prononce, je mets les sons en couleur dans ma tête. Ils ont des nuances différentes suivant l'intonation. Dans le même temps, je les place plus ou moins haut selon qu'ils sont graves ou aigus. Exactement comme des notes sur une partition. J'utilise le même procédé pour les répéter. Cela me permet de comparer immédiatement la partition enregistrée à celle que je suis en train de composer. Ainsi, je sais tout de suite si j'ai fait une erreur et où. Et je me corrige.”
“Je traduis en images ce que j'entends”
“En classe, visualiser me permet de transcrire plus facilement un cours. Je mets en images ce que j'entends, et les mots importants en rouge. Cela fait comme un exposé en vidéo qui me donne envie d'apprendre. Là où j'ai du mal, c'est lorsque les phrases sont trop longues, avec trop de mots, et donc trop de sens. Je décroche. Ou bien lorsque le sujet ne m'intéresse pas !
Pour pouvoir apprendre une leçon, il m'arrive de la reconstruire entièrement : je remplace les phrases par des dessins auxquels je donne des noms, j'écris en couleur les mots à retenir. Autrement, je ne mémorise rien. Il ne me reste qu'une page blanche dans la tête.
En revanche, les images, les couleurs, font partie de ma vie. Pour moi, les lettres de l'alphabet ont toutes une teinte. Et un genre, masculin ou féminin. Comme pour les personnes : celles qui m'entourent sont associées à une couleur, et même un goût, celui que j'ai dans la bouche quand je pense à elles. C'est très agréable de visualiser. Une image, cela reste longtemps dans la tête.”
“Au collège, les énoncés m'ont causé bien des soucis”
“Mon pire ennemi, c'est le stress. Tout se bloque, se brouille. Je ne parviens plus à me "connecter". Je ne sais plus ce qu'il faut faire, quel chemin prendre. L'an dernier, pour la première fois, j'ai eu un professeur sensible à mes difficultés. Elle me disait : "Reste calme. Respire avant de lire l'énoncé, prend le temps de te relire plusieurs fois...".
Les énoncés m'ont causé bien des soucis à l'entrée au collège. C'est à ce moment-là que tout s'est compliqué. Il est devenu évident que je ne comprenais pas ce qu'on me demandait de faire. Je lisais de travers. Comme ce jour où le professeur de français nous a demandé de choisir un animal, puis d'écrire en quoi il nous ressemblait. J'ai choisi le chat, et j'ai décris l'animal. J'étais comme cela, souvent à côté de la plaque. Comme si je lisais le début de l'énoncé et inventais la suite.
En primaire, c'est surtout la lecture qui m'a posé problème. J'avais du mal à prononcer tous les mots correctement, sans en oublier ni les substituer à d'autres ; sans bafouiller ni sauter des lignes. Une vraie torture ! On me disait : “Cesse de te balancer sur ta chaise !”. Mais cela scandait mes efforts. La ponctuation m'échappait : à quoi pouvait-elle servir ? En réalité, je n'étais pas certaine d'avoir parfaitement compris le sens du texte.”
“J'écrivais au pif, sans règles”
“Pendant les dictées, je tendais l'oreille, essayant d'associer au plus simple sons et lettres. En fait, j'écrivais "au pif". Fatalement, je commettais des erreurs. Aujourd'hui, j'ai encore du mal à orthographier correctement le son " é " ("é ", "ez", "er" ou "ait" ?) Et il m'arrive d'écrire le pluriel d'un mot "ent" au lieu de "s". Je connais les règles de grammaire, mais je bloque pour les appliquer. Elles ne correspondent pas à ma propre logique de la langue.
Petite, je ne comprenais pas pourquoi j'étais la seule à connaître ces difficultés. J'avais honte de moi, je me croyais stupide. Les maîtresses en avaient sûrement marre de moi. A la maison, je me suis entraînée tous les jours à lire des histoires à ma petite sœur. Je voulais y arriver, être comme les autres. Et j'ai progressé, même si ma lecture restait hésitante et hachée. Heureusement, avec les chiffres tout était plus simple !”