Que savons-nous de la culture de nos grands enfants ? Pas grand chose, avouons-le, le propre de l'adolescence étant de nous en tenir éloignés ! C'est la raison pour laquelle on ouvre avec une certaine gourmandise le livre de Dominique Pasquier, “Cultures lycéennes, la tyrannie de la majorité” (Autrement). Sociologue et directrice de recherche au CNRS, elle a enquêté auprès de nombreux lycéens de la région parisienne, les écoutant parler de leurs goûts et de leurs passions, les observant dans leurs échanges avec les autres.
Gourmandise certes, mais inquiétude aussi ! Pourquoi donc ce terme de “tyrannie” ?
Le constat de Dominique Pasquier est, de fait, peu réjouissant. Elle démontre en effet combien nos enfants sont prisonniers d'un conformisme culturel, qui génère en outre des clivages sociaux et sexuels préoccupants.
Qu'est-ce qui caractérise aujourd'hui “la culture jeune” de nos ados ?
Elle est sans rapport avec ce qu'on a connu. En quelques décennies, nous sommes passés d'une culture “consacrée”, humaniste, fondée sur le livre et les connaissances encyclopédiques, à une culture de “mass médias”. Celle-ci ne vient plus “d'en haut”, mais des milieux populaires, de la rue. Jamais encore une culture jeune n'avait autant échappé aux parents, ni été à ce point organisée par l'univers marchand. Les jeunes ont désormais, outre leurs musiques, leurs radios, leurs émissions de télévision, leur presse magazine, et de nouveaux médias comme l'ordinateur, les jeux vidéos et le téléphone portable.
Cette culture est ainsi en rupture avec la transmission culturelle familiale et scolaire.
La musique est la pratique culturelle la plus importante et la plus répandue, la télévision est surtout regardée par les filles, tandis que les jeux vidéos sont préférés par les garçons.
Quant au livre, il est délaissé non pas parce qu'il est supplanté par la télévision (sur laquelle les jeunes sont d'ailleurs très critiques), mais parce qu'il est un mauvais support de socialisation. Il n'a pas sa place dans cette culture où la norme est de faire des activités de groupe.
En quoi est-elle tyrannique ?
Les pratiques culturelles des adolescents organisent leurs liens sociaux. Et dans ce domaine, la pression est terrible : pour être accepté par les autres, il faut respecter les mêmes codes. Il faut écouter la même musique, aimer les mêmes émissions, les mêmes jeux vidéos, avoir le “bon” portable, le bon “look” (selon l'option choisie : rappeur, skateur...) sous peine d'être marginalisé, exclu, ridiculisé.
Le regard des autres est terriblement opprimant. Le conformisme est tel qu'il condamne les choix individuels. Ce qui est paradoxal dans une société qui prône l'épanouissement individuel. On a supprimé les uniformes, mais les adolescents s'en sont créés d'autres, et des pires !
Dans ce contexte, on comprend combien il est difficile pour l'adolescent d'être soi. Il est contraint de mettre en scène et d'afficher des préférences qui ne sont pas forcément les siennes. Un ado peut très bien aimer écouter chez lui de la musique classique, mais il ne l'affichera pas à l'école sous peine d'être traité de “bouffon”. En outre, il est écartelé entre l'impératif de réussite scolaire et le rejet, dans cette culture populaire, de la culture humaniste qui reste pourtant au cœur des bonnes filières, même si la culture scientifique a de l'importance.
Les élèves des établissements “élitistes”, issus d'un milieu favorisé où la transmission familiale joue encore et où la sélection à l'entrée est forte, s'en tirent mieux que les autres. Les plus fragiles sont les élèves des classes moyennes : ils sont soumis au lycée à des codes très différents de ceux de leurs parents, et c'est un problème bien difficile à résoudre.